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AGEFI, 23.7.2001
"L'invit�" Rapha�l Cohen serial-entrepreneur,
charg� de cours*
"Les Suisses champions du gaspillage ou le hara-kiri
intellectuel d'un pays" |
Je ne sais pas jusqu’à quel
point la Suisse est fière d’avoir réussi
à imiter l’ex-URSS. Celle-ci a fait preuve
d’une générosité sans égale
vis-à-vis de l’état d’Israël
en lui offrant, sur un plateau, plusieurs centaines de
milliers d’immigrants avec une formation de niveau
universitaire. Sachant que la formation complète
d’un universitaire coûte près d’un
million de francs, la valeur du « cadeau »
est de plusieurs centaines de milliard de francs…
Malgré toutes les misères que l’URSS
a imposées à l’état hébreu,
celui-ci lui restera très longtemps reconnaissant
pour cette « manne soviétique », qui
a largement contribué à son essor technologique
et économique. Israël dispose maintenant d’une
des forces de travail les plus qualifiées au monde
avec un nombre d’ingénieurs, par tête
d’habitant, deux fois plus élevé que
celui de la Suisse. |
La Suisse fait preuve d’une générosité
comparable vis-à-vis du reste du monde puisqu’elle
force les diplômés étrangers à
plier bagages et s’installer à l’étranger,
une fois leurs études terminées. Dans le
cadre du cours d’entrepreneurship de CREATE à
l’EPFL, dont je suis responsable, j’ai régulièrement
l’occasion de constater que le plus gros problème
auquel sont confrontés nombre de participants concerne
le renouvellement de leur permis de résidence/travail.
Ce cours d’entrepreneurship s’adresse à
des inventeurs qui ont un projet d’entreprise ou
à des scientifiques qui ont un profil entrepreneurial.
Ils font certainement partie de l’élite intellectuelle.
Réunissant des membres du corps enseignant, des
doctorants, des chercheurs et même des étudiants,
il compte une proportion d’étrangers largement
supérieure à la moyenne suisse. Ceux qui
sont contraints de quitter la Suisse sont souvent des
experts ayant obtenu le plus haut niveau de formation
technologique universitaire. Ils vont, à regret,
quitter la Suisse avec leur projet en poche. Au lieu de
créer des emplois en Suisse, ils les créeront
à l’étranger. Ces entreprises high-tech
innovantes, donc à la pointe du progrès,
vont non seulement nous échapper mais, en s’implantant
dans des pays plus accueillants, elles pourront de surcroît
contribuer à l’essor d’autres entreprises
ou régions en concurrence avec la Suisse et ses
entreprises. La Suisse ne se contente donc pas de se priver
de tous les avantages apportés par les startups
innovantes, mais elle « nourrit l’ennemi ».
On pourrait, pour aller au bout du raisonnement, directement
subventionner les entreprises étrangères
pour les aider à financer la formation de leurs
experts sur place – ce qui est vraisemblablement
moins cher qu’en Suisse -, de manière à
les rendre encore plus dangereuses pour les entreprises
helvétiques. |
Pour compl�ter ce tableau kafka�en, je rel�ve
que les entreprises suisses souffrent d�un manque cruel
de main d��uvre qualifi�e. A tel point que, pour �toffer
leurs effectifs, elles font des pieds et des mains pour
obtenir des permis de travail, qui ne leur sont g�n�ralement
pas accord�s. Faute de les obtenir, elles ne peuvent fonctionner
de mani�re optimale. Autant je peux comprendre la difficult�
d�ouvrir les portes � une main d��uvre non qualifi�e,
autant je ne m�explique pas pourquoi on applique les m�mes
crit�res aux �trangers tr�s qualifi�s. Je comprends encore
moins pourquoi les universitaires �trangers qui ont �t�
form�s en Suisse ne b�n�ficient pas d�un r�gime particulier.
Je rappelle pour m�moire que 40% des startups de Silicon
Valley �et ce ne sont pas toutes des dot.bombs- ont �t�
fond�es par des indiens. L��conomie isra�lienne a aussi
tr�s largement b�n�fici� de la pr�sence de nombreux �trangers
qualifi�s. La Suisse ne peut sortir que gagnante de l�apport
�conomique et technique de ces experts. |
La solution qui saute aux yeux consisterait
à donner d’office un permis de travail à
tous les étrangers qui obtiennent un diplôme
universitaire suisse. Cela permettrait à ces experts
de, soit fonder des startups créatrices d’emplois,
soit trouver un travail dans des entreprises suisses en
leur apportant leur savoir-faire. Dans un monde où
le savoir représente le capital le plus difficile
et le plus coûteux à obtenir, nous devrions
profiter de toutes les opportunités d’amasser
du « capital-savoir ». Nous sommes passés
maîtres dans l’art de gérer le capital
financier, y compris les capitaux étrangers.
Il serait temps de maîtriser le capital-savoir,
y compris celui des étrangers. |
En résumé, la Suisse investi
nos impôts dans la formation des étrangers
pour en faire des experts de très haut niveau avant
d’offrir leur savoir à d’autres pays.
Est-ce une forme d’altruisme helvétique, dont
nous pourrions être fiers, ou bien simplement du
gaspillage, pour ne pas l’appeler autrement ? Les
dirigeants de l’ex-URSS n’étaient ni
altruistes ni gaspilleurs car ils avaient au moins une
excuse, dans la mesure où ils ignoraient qu’un
exode de cerveaux allait priver leur pays de cette source
d’innovation. Quelle est l’excuse des Suisses
: générosité/altruisme ou gaspillage/…
?
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