Il ne fait plus bon être vache en Suisse. Celles de
Michel Jordi ne sont plus en odeur de sainteté ; elles
ont déposé le bilan, faute d'avoir choisi la
bonne stratégie. La maladie de la vache folle a, elle,
ébranlé notre industrie alimentaire. Autrement
dit, les vaches sacrées cessent de l'être. Exemples
classiques de vaches sacrées déchues: Swissair
qui se passe de commentaire ; la sécurité ébranlée
par la tuerie de Zoug et l'incendie du Gothard ; la chute
d'Arthur Anderson, le colosse aux pieds d'argile ; les administrateurs
de la BCGE à qui on demande de renoncer à leur
décharge ; la neutralité qui s'effrite avec
la participation à l'ONU ; la fin programmée
de l'indépendance des médecins avec Tarmed ;
les compagnies d'assurances comme Supra qui ne répondent
même plus au téléphone ; la fin de la
confidentialité de la rémunération des
cadres d'entreprises cotées en bourse ; " l'éjectabilité
" des CEOs qui ne sont pas la hauteur des attentes de
leur conseil d'administration ; la cooptation des administrateurs
susceptible de créer des conflits d'intérêt.
Ce ne sont plus des cas isolés de vaches sacrées
mises a carreau mais un véritable troupeau qui joue
a la corrida ...
Le monde de la finance est aussi en pleine ébullition
: l'alliance de la Banque Sarasin avec Rabobank qui passe,
aux yeux de certains, comme un cheval de Troie ouvrant la
porte à des étrangers ; la fusion entre la Discount
Bank and Trust Company et l'UBP ; la fusion de Lombard Odier
avec Darier Hentsch. Où va le monde si même les
banques privées centenaires se mettent à fusionner
?
Non contentes de changer la configuration sur l'échiquier,
elles changent aussi les règles du jeu, comme avec
l'annonce de licenciements chez Darier Hentsch. Ceux-ci expriment
une nouvelle révolution car, traditionnellement, les
banques privées ne licenciaient pas. Certains osent
même suggérer de faire rentrer dans le capital
d'une banque cantonale, comme la BCGE, une grande banque étrangère.
Cela permettrait de recapitaliser la banque en lui donnant
non seulement les moyens de se développer mais aussi
l'accès à un réseau à l'étranger.
Plus rien n'est tabou !
Les Suisses ne sont pas les seuls à s'attaquer aux
vaches sacrées hélvétiques. Même
les étrangers ont le mauvais goût de leur vouloir
du mal. Les Européens veulent la peau du secret bancaire
alors que les Américains ont réussi à
transformer les banques suisses en agents fiscaux américains
(qui sont maintenant des " qualified intermediaries "
rendant des comptes à l'IRS). Les Italiens, de leur
côté, chassent impunément le veau d'or
avec une amnistie fiscale (loi Tremonti) qui cherche à
vider les coffres des banquiers suisses. Il n'y a vraiment
plus de respect !
Le constat est un peu brutal : les règles du jeu
changent et on ne peut plus compter sur la promenade paisible
des vaches à l'alpage. Nous entrons dans l'ère
du rodéo. Autrement dit, les rentes de situation (soit
nos fameuses vaches sacrées) sont progressivement en
train de disparaître. Nous avons le choix entre nous
lamenter, sur la fin d'une époque confortable, et nous
adapter stoïquement à cette nouvelle réalité.
Les lamentations ne présentant aucun intérêt,
si ce n'est pour les psychanalystes et les vendeurs de mouchoirs
en papier, le choix est vite fait.
L'avenir appartient à ceux qui seront mentalement
mobiles et prêts à évoluer en fonction
des opportunités. C'est le nouveau paradigme incontournable.
Puisqu'on ne peut plus compter sur les rentes de situation
ou le statu quo, cela signifie que tout peut être remis
en question. La seule stratégie face à cette
remise en question permanente consiste à faire preuve
de flexibilité et d'une forte capacité d'innovation
à tous les niveaux (services, processus, produits,
etc.).
La questions que les employés doivent maintenant se
poser n'est plus de savoir comment il vont faire pour passer
entre les gouttes mais de déterminer quel savoir-faire
et quelle formation vont leur permettre de rester à
la pointe, condition indispensable pour conserver leur emploi.
Du côté des employeurs, ceux-ci ont la responsabilité
de non seulement donner la formation requise mais aussi de
mobiliser leurs troupes en les impliquant dans la gestion
et l'innovation, de manière à profiter des forces
vives de chacun. Absorbés par le quotidien, il n'y
a malheureusement pas assez de patrons qui prennent l'initiative
de mettre en uvre (avec l'aide éventuelle de
consultants qualifiés) un programme cohérent
de dynamisation. C'est fâcheux car en attend des leaders
qu'ils fassent en sorte que les années de vaches grasses
ne soient pas suivies par des années de vaches maigres...
* Entrepreneur, enseignant et co-responsable des cours
d'entrepreneurship à HEC Genève; rc@getratex.ch,
CEO Getratex SA, administrateur de sociétés
et consultant.
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