source : L'AGEFI 3 juillet 2002

Entreprises suisses : la fin des vaches sacrées

"L'invit�" Rapha�l Cohen serial-entrepreneur, enseignant*

Il ne fait plus bon être vache en Suisse. Celles de Michel Jordi ne sont plus en odeur de sainteté ; elles ont déposé le bilan, faute d'avoir choisi la bonne stratégie. La maladie de la vache folle a, elle, ébranlé notre industrie alimentaire. Autrement dit, les vaches sacrées cessent de l'être. Exemples classiques de vaches sacrées déchues: Swissair qui se passe de commentaire ; la sécurité ébranlée par la tuerie de Zoug et l'incendie du Gothard ; la chute d'Arthur Anderson, le colosse aux pieds d'argile ; les administrateurs de la BCGE à qui on demande de renoncer à leur décharge ; la neutralité qui s'effrite avec la participation à l'ONU ; la fin programmée de l'indépendance des médecins avec Tarmed ; les compagnies d'assurances comme Supra qui ne répondent même plus au téléphone ; la fin de la confidentialité de la rémunération des cadres d'entreprises cotées en bourse ; " l'éjectabilité " des CEOs qui ne sont pas la hauteur des attentes de leur conseil d'administration ; la cooptation des administrateurs susceptible de créer des conflits d'intérêt.

Ce ne sont plus des cas isolés de vaches sacrées mises a carreau mais un véritable troupeau qui joue a la corrida ...

Le monde de la finance est aussi en pleine ébullition : l'alliance de la Banque Sarasin avec Rabobank qui passe, aux yeux de certains, comme un cheval de Troie ouvrant la porte à des étrangers ; la fusion entre la Discount Bank and Trust Company et l'UBP ; la fusion de Lombard Odier avec Darier Hentsch. Où va le monde si même les banques privées centenaires se mettent à fusionner ?
Non contentes de changer la configuration sur l'échiquier, elles changent aussi les règles du jeu, comme avec l'annonce de licenciements chez Darier Hentsch. Ceux-ci expriment une nouvelle révolution car, traditionnellement, les banques privées ne licenciaient pas. Certains osent même suggérer de faire rentrer dans le capital d'une banque cantonale, comme la BCGE, une grande banque étrangère. Cela permettrait de recapitaliser la banque en lui donnant non seulement les moyens de se développer mais aussi l'accès à un réseau à l'étranger. Plus rien n'est tabou !

Les Suisses ne sont pas les seuls à s'attaquer aux vaches sacrées hélvétiques. Même les étrangers ont le mauvais goût de leur vouloir du mal. Les Européens veulent la peau du secret bancaire alors que les Américains ont réussi à transformer les banques suisses en agents fiscaux américains (qui sont maintenant des " qualified intermediaries " rendant des comptes à l'IRS). Les Italiens, de leur côté, chassent impunément le veau d'or avec une amnistie fiscale (loi Tremonti) qui cherche à vider les coffres des banquiers suisses. Il n'y a vraiment plus de respect !

Le constat est un peu brutal : les règles du jeu changent et on ne peut plus compter sur la promenade paisible des vaches à l'alpage. Nous entrons dans l'ère du rodéo. Autrement dit, les rentes de situation (soit nos fameuses vaches sacrées) sont progressivement en train de disparaître. Nous avons le choix entre nous lamenter, sur la fin d'une époque confortable, et nous adapter stoïquement à cette nouvelle réalité. Les lamentations ne présentant aucun intérêt, si ce n'est pour les psychanalystes et les vendeurs de mouchoirs en papier, le choix est vite fait.

L'avenir appartient à ceux qui seront mentalement mobiles et prêts à évoluer en fonction des opportunités. C'est le nouveau paradigme incontournable. Puisqu'on ne peut plus compter sur les rentes de situation ou le statu quo, cela signifie que tout peut être remis en question. La seule stratégie face à cette remise en question permanente consiste à faire preuve de flexibilité et d'une forte capacité d'innovation à tous les niveaux (services, processus, produits, etc.).

La questions que les employés doivent maintenant se poser n'est plus de savoir comment il vont faire pour passer entre les gouttes mais de déterminer quel savoir-faire et quelle formation vont leur permettre de rester à la pointe, condition indispensable pour conserver leur emploi. Du côté des employeurs, ceux-ci ont la responsabilité de non seulement donner la formation requise mais aussi de mobiliser leurs troupes en les impliquant dans la gestion et l'innovation, de manière à profiter des forces vives de chacun. Absorbés par le quotidien, il n'y a malheureusement pas assez de patrons qui prennent l'initiative de mettre en œuvre (avec l'aide éventuelle de consultants qualifiés) un programme cohérent de dynamisation. C'est fâcheux car en attend des leaders qu'ils fassent en sorte que les années de vaches grasses ne soient pas suivies par des années de vaches maigres...

* Entrepreneur, enseignant et co-responsable des cours d'entrepreneurship à HEC Genève; rc@getratex.ch, CEO Getratex SA, administrateur de sociétés et consultant.

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